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Goethe ; c’est vraiment un homme remarquable, et même, quand on sait se traduire ses idées dans sa propre langue, on s’aperçoit qu’elles sont souvent très-importantes. — Son livre repose sur ce principe qu’il y a, en dehors de la philosophie, le point de vue de la simple raison de l’homme, et que tout art, toute science, qui restent indépendants de la philosophie, et ne se développent que par les forces naturelles de l’homme, arrivent toujours à de meilleurs résultats. — C’est là tout à fait de l’eau pour notre moulin[1]. Pour moi je me suis toujours maintenu libre en face de la philosophie[2] ; mon point d’appui a toujours été la simple raison de l’homme sensé, et Schubart confirme ainsi ce que j’ai dit et fait pendant toute ma vie. La seule chose que je ne puisse louer tout à fait en lui, c’est qu’il y a certains sujets sur lesquels il en sait plus qu’il n’en dit ; il ne parle pas toujours tout à fait en homme d’honneur ; ainsi, comme Hegel, il fait entrer la religion chrétienne dans la philosophie ; et elle n’a rien à y faire. — La religion chrétienne est une grande chose

  1. Proverbe.
  2. Goethe a même lancé un certain nombre d’épigrammes contre la métaphysique, par exemple celles-ci : « Toute philosophie n’est que le sens commun de l’homme en langage amphigourique. — Voilà déjà bientôt vingt ans que tous les Allemands vivent dans le monde transcendantal ; quand ils viendront à s’en apercevoir, ils se trouveront bien extraordinaires. — Comment as-tu pu faire tant de choses ? Mon enfant, j’ai été fort adroit, je n’ai jamais pensé à la manière dont on pense, » etc. La métaphysique avait à ses yeux deux grands défauts. Son esprit avait soif d’évidence, et les discussions sur le temps, sur l’espace, sur l’esprit, sur la matière, sont toujours, il faut l’avouer, d’une clarté contestable. De plus, il était poëte, c’est-à-dire qu’il avait besoin que tout prît devant son esprit une forme sensible, pittoresque, et les abstractions de l’école n’ont rien de pittoresque. Aussi il n’étudia la métaphysique pure que pour bien se convaincre qu’il préférait de beaucoup l’étude de la nature ; comme Faust, il laissa l’arbre mort de la science abstraite pour saisir et embrasser l’arbre de la vie.