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fluence pure sur le développement des esprits et que l’humanité gagne beaucoup avec eux. »

« — Je ne suis pas de votre avis, dit Goethe. La témérité, l’audace, le grandiose de Byron, est-ce que tout cela ne sert pas d’une façon heureuse à notre développement ? Il faut prendre garde de ne chercher jamais les éléments de développement que dans ce qui est parfaitement pur et moral. — Toute œuvre qui a un caractère de grandeur nous forme, dès que nous savons voir en elle ce qui est grand[1]. »

Mercredi, 4 février 1829.

« J’ai continué la lecture de Schubart[2], m’a dit

  1. On s’étonne d’abord de la sympathie que Goethe montre pour Byron. Il semble que rien ne pouvait rapprocher deux caractères en apparence si opposés. D’où vient donc cette affection si fidèle du plus calme des poètes allemands pour le plus impétueux des poètes anglais ? Si Goethe se sentait attiré vers Byron, et lui pardonnait presque tout, c’est d’abord, je crois, parce que le poëte anglais avait, comme lui-même, déclaré une guerre ouverte à toutes les hypocrisies ; c’est aussi et surtout parce que tous deux étaient des fils du Nord, épris d’un même amour passionné pour l’Italie et l’Orient. Byron réalisait l’idéal de Goethe : dans les vers les plus mélancoliques de cet enfant de la brumeuse Angleterre, le soleil du Midi a semé de brillantes étincelles. Cette union du Nord et du Midi, de la profondeur et de l’éclat était une des aspirations artistiques de Goethe. Ne voyons-nous pas déjà Werther emporter ensemble dans les champs Ossian et Homère, c’est-à-dire le rêve insaisissable et la réalité vivante, le brouillard et la lumière ? La jeune sœur de Werther, Mignon, a dans le regard, dans les gestes, dans la parole la vivacité fébrile de l’Italienne, mais en même temps elle est pensive comme la Muse même de la Germanie. Byron devait donc ravir et enthousiasmer Goethe, car sa pensée a toutes les rêveries et son expression toutes les splendeurs. Goethe lui-même portait sur sa physionomie les signes de cette double nature qui vivait aussi dans son âme : ses traits étaient graves et très-sérieux d’expression, mais dans son œil noir et ardent brillait le feu méridional.
  2. Philosophe de l’école de Schelling. Il s’agit ici sans doute de son livre intitulé Vues sur une histoire générale de la vie.