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fées artificiellement ? Ce n’est pas là un feu de cuisine ! Nous bataillerons là-dessus à Tœplitz, si vous y venez avec le roi. Vous verrez que votre vieux feu de cuisine me raffermira encore une fois. Étranges paroles, car avec un pareil homme tout devient significatif. À Postdam, j’étais resté plusieurs heures assis seul avec lui sur un canapé. Il buvait, puis s’endormait ; buvait de nouveau, se levait pour écrire à sa femme, puis se rendormait. Il était gai, mais très-épuisé. Dans les intervalles, il me pressait de questions sur les problèmes les plus difficiles de physique, d’astronomie, de météorologie et de géologie, sur la transparence du noyau des comètes, sur l’atmosphère de la lune, sur les étoiles doubles colorées, sur l’influence des taches du soleil, sur la température, sur l’apparition des formes organisées dans le monde primitif, sur la chaleur intérieure de la terre. Il s’endormait en me parlant ou en m’écoutant, s’agitait souvent, et, remarquant son visible manque d’attention, il me demandait pardon doucement et amicalement en me disant : Vous voyez, Humboldt, c’est fini de moi. — Tout à coup, sans transition, il passa à des sujets religieux. Il se plaignit de l’envahissement du piétisme, comme d’une doctrine exaltée qui s’allie à la politique de l’absolutisme et à l’abaissement de tous les efforts de l’esprit. Ce sont des hypocrites drôles, s’écria-t-il, ils s’imaginent ainsi gagner la faveur d’un prince et recevoir des places et des décorations ! Ils se sont faufilés en même temps que le goût de la poésie pour le moyen âge[1]. — Puis sa colère s’apaisa, et il dit combien il trouvait de consolations dans la religion chrétienne. C’est une doctrine

  1. On reconnaît les idées de Goethe.