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parole très-juste, et je crois qu’on ne peut trop se pénétrer de ce principe. »

« Oui, mon bon, dit Goethe, tout est là. Il faut être quelque chose pour faire quelque chose. Dante nous paraît grand, mais il avait derrière lui des siècles de culture ; la maison Rothschild est riche, mais il a fallu plus d’un âge d’homme pour amasser ses trésors. Toutes ces choses pénètrent plus profondément qu’on ne le pense. Nos artistes qui veulent refaire du vieil art allemand ne s’en doutent pas ; ils veulent, avec leur faiblesse, leur impuissance artistique, imiter la nature, et s’imaginent faire quelque chose. Ils restent au-dessous d’elle. Celui qui veut faire quelque chose de grand doit avoir amené son développement intérieur à un point tel que, comme les Grecs, il soit en état d’élever la réalité étroite de la nature à la hauteur de son esprit, afin d’être capable de faire une réalité de ce qui, dans la nature, par suite d’une faiblesse intime ou par quelque obstacle extérieur, est resté à l’état d’intention. »

Mercredi, 22 octobre 1828.

Aujourd’hui, à table, on parlait des femmes, et Goethe a dit : « Les femmes sont des coupes d’argent dans lesquelles nous plaçons des pommes d’or. L’idée que j’ai des femmes n’est pas le résultat des observations que j’ai faites dans la réalité ; c’est une idée qui était innée en moi ou qui m’est venue Dieu sait comment. Aussi les caractères de femmes que j’ai tracés ont tous réussi ; ils sont tous supérieurs à ceux que l’on peut rencontrer dans la vie réelle. »