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d’après quelles maximes on doit juger, et comment on peut rendre intéressante et agréable la simple analyse d’un livre. Elles sont pour l’artiste, parce quelles donnent de la clarté à ses pensées et lui enseignent quels sujets ont un sens pour l’art, et par conséquent quels sont ceux qu’il doit traiter et ceux qu’il doit laisser de côté. Elles sont pour le naturaliste, non-seulement parce qu’elles renferment les grandes lois que Goethe a découvertes, mais aussi et surtout parce qu’il y trouvera la méthode qu’un bon esprit doit suivre pour que la nature lui livre ses secrets. — Ainsi tous les esprits dévoués à la science, à l’art, seront reçus comme hôtes à la table que garnissent richement les œuvres de Goethe, et dans leurs créations se reconnaîtra l’influence de cette source commune de lumière et de vie à laquelle ils auront puisé ! »

Ces idées et d’autres du même genre me traversaient l’esprit pendant le dîner. Je pensais à tous ces artistes, à tous ces naturalistes, poètes, critiques qui, en Allemagne, sont redevables à Goethe d’une grande partie de leur développement moral. Je pensais à ces écrivains distingués qui, en Italie, en France, en Angleterre, ont les yeux fixés sur Goethe et agissent dans le même sens que lui. — Cependant autour de moi on dînait et on causait gaiement. J’avais bien dit çà et là un mot, mais sans trop écouter. Une dame m’adressa alors une question ; je fis sans doute une réponse peu en harmonie avec la demande, car on se moqua de moi. — « Laissez Eckermann, dit Goethe, il est toujours absent, excepté quand il est au théâtre. » — On riait à mes dépens, mais cela ne me déplaisait pas. J’avais l’âme aujourd’hui remplie de bonheur. Je bénissais mon sort, qui, après