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voix, les mots, les sons brisés, étouffés, le souffle ardent de sa respiration, et les soupirs mêlés de larmes. Tout le monde était plongé dans une attention profonde, les flambeaux ne donnaient plus qu’une lumière trouble, personne ne pensait ou ne se décidait à les ranimer, de peur d’amener la plus légère interruption ; les larmes qui coulaient sans cesse des yeux des femmes témoignaient de l’effet profond de la pièce et formaient le plus expressif tribut qui pût être payé au poëte comme au lecteur.

Tieck avait fini, et s’était levé, essuyant la sueur qui couvrait son front, et toute la société restait encore assise, comme enchaînée sur les sièges ; chacun paraissait trop agité par les émotions qu’il venait d’éprouver pour avoir toutes prêtes les paroles de remercîment que méritait le lecteur auquel on devait une telle émotion. — Peu à peu on se remit ; on se leva, et on causa de nouveau avec gaieté. — Goethe, ce soir-là, n’était pas présent, mais son esprit et son souvenir étaient vivants au milieu de nous. Il fit adresser ses excuses à Tieck, et il fit remettre à ses deux filles, Agnès et Dorothée, deux broches avec son portrait et deux nœuds rouges que Madame de Goethe leur attacha comme les insignes d’un ordre.

Vendredi, 10 octobre 1828.

Ce matin, j’ai reçu de M. Guillaume Fraser, de Londres, éditeur de la Revue étrangère, deux exemplaires du troisième numéro de cet écrit périodique ; et à midi j’ai porté l’un d’eux à Goethe. Je trouvai de nouveau une table de joyeux invités, réunis en l’honneur de Tieck et de la comtesse de Meden, qui sur la prière de Goethe et de leurs autres amis avaient encore accordé à Weimar