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J’en ai dit assez pour montrer que le labyrinthe de notre organisme doit être étudié dans chacune de ses manifestations, quelle qu’elle soit, si nous voulons arriver par la contemplation du fait sensible à la connaissance du fait intime.


Tout ce qui précède montre que Geoffroy s’est élevé à une haute manière de voir, en harmonie avec l’idée la plus générale de la science. Malheureusement sa langue pèche souvent par l’inexactitude de l’expression, et par ce motif la discussion menace de s’embrouiller. Qu’il nous soit permis de relever modestement ce défaut ; nous ne pouvons pas laisser passer cette occasion de faire remarquer combien d’erreurs graves ont pour cause, dans les livres français et dans les discussions des hommes les plus distingués, l’emploi de mots périlleux. On croit parler en prose toute pure, et l’on a déjà employé des métaphores ; à ces métaphores, chacun donne une portée différente ; on les reprend pour les continuer dans un sens tout autre, et les discussions deviennent ainsi des énigmes insolubles.

Matériaux. — On emploie ce mot pour désigner les parties d’un être organisé, parties qui, réunies, forment un ensemble ou une portion subordonnée de l’ensemble. L’os intermaxillaire, la mâchoire supérieure, les os palatins, seront les matériaux qui, réunis, forment la voûte palatine ; l’humérus, le radius, le cubitus, les divers os de la main, seront les matériaux dont se composent le bras de l’homme et le membre antérieur de l’animal. Or ce mot matériaux, pris dans son sens le plus général, désigne des objets qui ne se tiennent pas, qui n’ont aucun rapport entre eux ; des poutres, des planches, des lattes sont des matériaux avec lesquels on peut faire des constructions de toute nature, et, par exemple, un toit ; la tuile, le cuivre, l’étain, le zinc n’ont rien de commun avec ces objets, et cependant ils serviront aussi à couvrir ce toit. Nous devons donc, en lisant ce mot français, lui donner une signification qui dépasse de beaucoup le sens habituel ; nous le regrettons, parce que nous prévoyons les conséquences fâcheuses de cette extension.

Composition. — Expression non moins malheureuse ; aussi mécanique que la précédente. Les Français, qui ont réfléchi et écrit sur les arts avant nous, ont introduit ce mot dans notre théorie artistique ; on dit : le peintre compose (componirt) son tableau ;