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occasion insignifiante à fait éclater la bouteille de Leyde et montré à tous les forces puissantes qui se tenaient cachées.

Au risque de quelques répétitions, insistons sur ces quatre hommes si souvent nommés et qu’il faudra toujours nommer, car, sans vouloir faire tort à personne, ces noms brillants sont vraiment ceux des fondateurs et des promoteurs de l’histoire naturelle ; ce sont ces hommes qui ont créé les germes d’où sont sortis tant d’heureux fruits ; placés depuis presque un siècle à la tête d’un établissement considérable, le développant et l’utilisant sans cesse, aidant au progrès de l’histoire naturelle de toutes les manières, ils sont les représentants des deux méthodes employées tour à tour dans la science : la synthèse et l’analyse. Buffon a pris le monde visible tel qu’il est ; c’était pour lui un ensemble harmonieux dans sa variété, composé de parties unies entre elles par des rapports réciproques. Daubenton, en sa qualité d’anatomiste, a cherché sans cesse à distinguer, à séparer ; il s’est gardé d’établir des relations entre les organes qu’il mettait à jour ; il s’est contenté de les placer les uns à côté des autres, mesurant, décrivant soigneusement chaque partie pour elle-même. Cuvier a travaillé dans le même esprit, seulement avec plus de liberté et de largeur ; il avait reçu le don d’apercevoir un nombre infini de détails sans les confondre ; il savait les comparer entre eux, les ranger, les classer, et par cette œuvre il a rendu à la science les plus grands services. Il se sentait une certaine appréhension pour la méthode plus haute, dont cependant il n’a pu se passer, et qu’il a employée sans s’en douter. Il représente donc Daubenton agrandi. Geoffroy, en quelque sorte, a reproduit Buffon. Pour Buffon, le monde visible était une grande synthèse ; c’est sous cette forme qu’il le concevait ; mais en même temps il étudiait et exposait tous les faits qui servent à établir des caractères distinctifs entre les êtres ; de même Geoffroy, déjà plus rapproché de cette grande Unité, seulement pressentie par Buffon, n’en a pas peur, et son esprit, en acceptant cette conception, sait en tirer des conséquences utiles à ses recherches.

Dans l’histoire de l’érudition et de la science, c’est peut-être la première fois qu’il arrive que, dans un même lieu, sur le même sujet d’études, une branche du savoir ait été ainsi cultivée dans deux directions tout à fait opposées par des hommes aussi remarquables, qui, au lieu de se trouver réunis par la commu-