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quité, lorsque parut une génération nouvelle qui considéra comme son plus grand devoir de rétablir partout l’ensemble et l’harmonie. Pendant quelque temps nous nous étions représenté (un peu malgré nous) les œuvres d’Homère comme une réunion d’éléments divers, mais aujourd’hui nous voilà dans l’heureuse obligation d’admirer leur unité, et nous devons considérer tous les poëmes qui portent son nom comme une création divine ayant sa source dans l’âme d’un seul et unique grand poëte. — C’est de l’esprit du temps que sort aussi cette opinion ; elle n’est pas due à un complot, elle n’est pas due davantage à la tradition ; elle a apparu proprio motu. — Désormais donc l’esprit du temps se présentera, sous des zones différentes, avec des aspects opposés et divers.



POÉSIE INDIENNE

Ce serait montrer une extrême ingratitude que de ne pas parler de ces poëmes indiens, dignes d’admiration pour avoir su échapper à l’influence de la philosophie la plus abstruse et de la religion la plus monstrueuse, et, conservant le naturel le plus heureux, ne prendre à la philosophie et à la religion que ce qui pouvait leur donner plus de profondeur et de dignité. — Avant tout, nommons Sacontala, poëme que nous admirons tant depuis longues années et où respire une pureté féminine si délicate, une douceur si innocente. Cette mère, oubliée par son mari, qui vit heureuse avec son fils, ces deux époux réconciliés par leur enfant, toutes ces scènes de famille sont du naturel le plus parfait, quoiqu’elles se passent dans une région miraculeuse, placée entre ciel et terre comme un nuage divin ; les dieux et les fils des dieux sont acteurs dans un drame où nous trouvons les situations les plus familières et les plus simples.

Gita Govinda offre le même caractère. Le traducteur n’a pu, à nous Occidentaux, communiquer que la première partie du poëme original. Elle est consacrée à la peinture de l’immense jalousie d’une divinité de second ordre, qui est abandonnée ou qui se croit abandonnée de son amant. Le détail infini de cette peinture nous plaît beaucoup. Qu’aurions-nous dit de la seconde partie du poëme ? elle raconte le retour du Dieu, le bonheur sans bornes de l’amante et les joies infinies des deux amants, joies qui