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teur sur une impression qui, tout en étant gaie, servait à rendre le calme à l’esprit.


REMARQUE SUR UN PASSAGE DE LA POÉTIQUE D’ARISTOTE.

Tous ceux qui se sont un peu occupés de la théorie de la poésie, et surtout de la tragédie, se rappellent un certain passage d’Aristote qui a beaucoup tourmenté ses éditeurs, sans qu’ils soient jamais arrivés à s’entendre pleinement sur le sens qu’on lui doit donner. Le grand homme semble vouloir que la tragédie, en représentant des événements et des passions propres à exciter la terreur et la pitié, purge de ces passions l’âme du spectateur. — Voici le passage textuel, qui, selon moi, devient très-clair dès qu’on le traduit bien : « La tragédie est la reproduction d’un événement important, renfermé dans une limite fixe, retracé non par le récit, mais à l’aide de plusieurs personnages chargés de rôles différents ; après avoir soulevé dans les cœurs tour à tour la terreur et la pitié, ces passions s’apaisent et la tragédie finit. »

Cette traduction ne laisse aucun doute sur le sens du passage. D’ailleurs, comment Aristote, qui ne perd jamais de vue l’objet qu’il analyse, aurait-il parlé de l’effet de la tragédie, de son résultat possible sur l’âme des spectateurs, au moment où il traite de la manière dont elle est construite ? Non ! La Katharsis est simplement cet apaisement, cette réconciliation qui vient à la fin de tout drame, et même de toute œuvre poétique. — Dans la vraie tragédie, c’est une mort qui doit apaiser tout. Cette mort peut n’être que fictive, comme pour Isaac ou Oreste, mais l’apparition d’une divinité bienfaisante ne change pas le caractère de la conclusion. Si le dénoûment est heureux, comme, par exemple, lorsque Alceste revient à la vie, la tragédie perd un peu de son caractère ; elle se rapproche de la comédie. Dans la comédie elle-même, nous voyons naître mille embarras qui éveillent aussi des craintes et des espérances ; mais à la fin tout s’explique, s’apaise, et le mariage joue ici le rôle que joue la mort dans la tragédie. — Si le mariage n’est pas une conclusion aussi définitive que la mort, il termine du moins un des principaux chapitres de l’existence. Personne ne veut mourir, tout le monde cherche à se marier, voilà, di-