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veur de leur cher moi, de leur église et de leur école, constitué des droits spéciaux, fait des exceptions et des miracles. C’est ainsi que, plusieurs fois déjà, on a fait à Platon l’honneur de le considérer comme ayant connu une Révélation chrétienne, et c’est encore ainsi qu’on nous fait aujourd’hui son portrait.

Avec un pareil écrivain, qui, malgré ses grands mérites, ne peut guère échapper au reproche d’avoir usé à tort d’idées sophistiques et théurgiques, combien serait-il indispensable de posséder un exposé critique bien clair des circonstances au milieu desquelles il a écrit, et des motifs qui l’ont fait écrire ? On sent ce besoin, quand on le lit, non pas comme le font tant d’esprits médiocres, pour s’édifier dans les ténèbres, mais pour bien connaître, dans sa vraie originalité, cette âme excellente ; ce qui peut servir à notre développement, ce n’est pas l’illusion vague, c’est la connaissance positive de ce que des hommes comme lui étaient et sont. Quels remercîments ne devrions-nous pas au traducteur, si, comme Wieland l’a fait pour Horace, il avait, dans ses notes instructives, expliqué quelle devait être, dans son siècle, la situation de cet antique écrivain, et indiqué l’essence et le but de chacun de ses dialogues !

Pourquoi donner, par exemple, le Ion comme livre canonique, quand ce petit dialogue n’est rien qu’un persiflage ? C’est probablement parce que vers la fin on y parle d’inspiration divine ! Il est malheureux que le langage de Socrate soit là, comme il arrive souvent, purement ironique !

À travers ce dialogue circule le fil d’une certaine polémique ; on ne l’aperçoit qu’avec peine, il est visible cependant. Tout homme qui philosophe est en désaccord avec les idées de son temps et du temps passé ; aussi les dialogues de Platon ne sont pas seulement dirigés contre une certaine idée, mais encore contre un certain homme. C’est en rendant bien claire pour tous cette double lutte que le traducteur pourrait rendre un inappréciable service.

Que l’on me permette de dire quelques mots sur Ion, et d’en faire une rapide analyse.

Le masque du Socrate platonicien (car on peut ainsi nommer cette figure de fantaisie que Socrate n’aurait pas plus reconnue qu’il ne reconnaissait celle d’Aristophane) rencontre un rhapsode, un déclamateur, un lecteur public, célèbre par son talent pour réciter Homère ; il vient de remporter un prix de déclamation et