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LITTÉRATURE ESPAGNOLE

CALDERON. — LA FILLE DE L’AIR.


De nugis hominum seria veritas
Uno volvitur assere…

Et certes c’est ce drame de Calderon qui remportera le prix, si sur la scène doivent se dérouler toutes les hautes folies humaines. Souvent, il est vrai, nous nous laissons tellement séduire par les mérites d’une œuvre d’art, qu’elle efface complètement toutes celles qui l’ont précédée ; mais c’est là une erreur qui n’a pas de conséquences fâcheuses, car, pour justifier notre jugement, nous sommes amenés à étudier l’œuvre de plus près et à ne laisser dans l’ombre aucune de ses qualités. Je déclare donc sans crainte que dans la Fille de l’air, j’ai plus que jamais appris à admirer le grand talent de Calderon, à respecter la hauteur de son esprit, la lucidité de son intelligence. Il faut reconnaître que le sujet est supérieur à celui de toutes les autres pièces ; la fable, en effet, est tout à fait naturelle ; l’influence démoniaque n’y joue pas un plus grand rôle qu’il n’était nécessaire, et les événements extraordinaires, surhumains s’y déploient d’autant mieux. Le merveilleux n’apparait qu’au commencement et à la fin ; dans le reste de l’œuvre, tous les ressorts sont naturels. Juger cette pièce, c’est juger toutes celles de l’auteur. Il n’y a pas là une manière originale de voir la nature ; tout est purement théâtral, scénique. Il n’y a pas trace d’illusion ; rien surtout ne cherche à paraître touchant. L’intelligence saisit facilement le plan ; les scènes se déroulent en suivant une marche qui rappelle les ballets ; bon procédé au point de vue de l’art, et que l’on retrouve dans nos opéras-comiques modernes. Les ressorts principaux sont toujours les mêmes : lutte de devoirs entre eux, passions qui trouvent des entraves dans l’opposition des caractères ou des situations. Entre les scènes consacrées au développement poétique de l’action principale se glissent des scènes intermédiaires ; là se meuvent d’élégantes et délicates figures qui semblent exécuter des figures de danse ; là règnent la rhétorique, la dialectique, la sophistique. Tous les éléments de l’humanité y paraissent ; le fou lui-même n’y manque pas ; sa raison familière