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vouloir à la représentation supprimer un iota ; cependant, on entend toujours soutenir cette opinion. Si elle prend du crédit sur les hommes qui ont dans les mains l’autorité, dans peu d’années Shakspeare aura complètement disparu de la scène allemande, Ce ne serait pas un malheur, car ses pièces, lues dans la solitude ou dans un petit cercle, deviendraient pour nous la source de joies d’autant plus vives.


LORD BYRON. — DON JUAN.

Goethe a traduit en vers allemands le début de Don Juan, et le monologue de Manfred (scène II, acte II). Il a ajouté à ces deux traductions les observations suivantes.

J’ai hésité autrefois à traduire un passage du Comte Carmagnola, ce qui était peut-être possible ; aujourd’hui j’ose donner la traduction de l’intraduisible Don Juan ; on verra peut-être dans cette conduite une contradiction ; je dois l’expliquer. M. Manzoni est chez nous peu connu, il faut donc avant tout voir ses qualités dans toute leur force, telles qu’elles se présentent dans l’original même ; plus tard, un de nos jeunes amis pourra fort bien nous donner une traduction. Au contraire, nous sommes tous suffisamment initiés au talent de lord Byron ; nos traductions ne peuvent ni lui servir ni lui nuire ; l’original est dans les mains de toutes les personnes cultivées. Mais quand nous tenterions l’impossible, nos essais ne seraient pas sans utilité ; car si dans le reflet ne se trouve pas l’image exacte du tableau original, notre attention peut du moins être attirée sur le miroir lui-même, et peut-être en l’examinant aurons-nous l’occasion de faire sur sa nature, sur ses défauts et sur ses qualités, quelques remarques utiles.

Don Juan est une œuvre d’un génie sans bornes ; tantôt la haine pour les hommes entraîne ce génie à la dureté la plus farouche ; tantôt, redevenu l’ami de notre race, il plonge son âme dans les profondeurs des plus suaves amours. — Puisque nous connaissons et apprécions l’auteur, puisque nous ne voulons pas qu’il soit autrement qu’il n’est, jouissons avec reconnaissance des œuvres que dans sa liberté excessive ou même dans sa témérité, il ose nous présenter. Les idées bizarres, désordonnées du poëte n’épargnent rien ; la