Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



de toute nature qui venaient se mettre en travers de son esprit pour l’empêcher de se livrer à une création pure et paisible.

Si l’on réunit ensemble tous ces motifs, on me comprendra quand je dirai que malgré l’enjouement de Goethe à table, il y avait au fond de son âme une gêne visible. — Je donne aussi tous ces détails parce qu’ils se rattachent à une parole de Goethe qui me parut très-curieuse, et qui peint sa situation et sa nature dans son originalité caractéristique. Le professeur Abeken d’Osnabruck[1], quelques jours avant le 28 août, m’avait adressé avec une lettre un paquet qu’il me priait de donner à Goethe à son anniversaire de naissance : « C’était un souvenir qui se rapportait à Schiller, et qui certainement ferait plaisir. » — Aujourd’hui, quand Goethe, à table, nous parla des divers présents qui lui avaient été envoyés à Dornbourg pour son anniversaire, je lui demandai ce que renfermait le paquet d’Abeken. — « C’était un envoi curieux qui m’a fait grand plaisir, dit-il. Une aimable dame chez laquelle Schiller avait pris le thé a eu l’idée excellente d’écrire ce qu’il avait dit. Elle a tout vu et tout reproduit très-fidèlement ; après un si long espace de temps, cela se lit encore très-bien, parce qu’on est replacé directement dans une situation qui a disparu, avec tant d’autres grandes choses, mais qui a été saisie avec toute sa vie et heureusement fixée à jamais dans ce récit. — Là, comme toujours, Schiller paraît en pleine possession de sa haute nature ; il est aussi grand à la table à thé qu’il l’aurait été dans un conseil d’État. Rien ne le gêne, rien ne resserre ou n’abaisse le

  1. De 1808 à 1810 précepteur des enfants de Schiller ; plus tard directeur du collège d’Osnabrück. Il a publié deux ouvrages sur Goethe.