Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine maîtriser. Lorsqu’ils sont seuls, on voit que le second a prévu l’incident fâcheux qui se présente ; il sait faire comprendre à son associé que, ne pouvant pas déposer ou faire prisonnier le comte, ils doivent dissimuler et gagner du temps. Le premier se rend à son avis, mais non sans quelque résistance.

Le caractère des personnages nous semble suffisamment exposé pour faire comprendre l’abrégé que nous avons donné ; parlons maintenant du Chœur.

Il ne prend aucune part à l’action, il forme un groupe à part ; c’est, pour ainsi dire, le public formant une voix ; à la représentation, il faudra lui donner une place particulière pour indiquer qu’il joue un rôle comparable à celui de notre orchestre, qui accompagne le drame, et qui même, dans l’opéra et dans le ballet, fait partie intégrante du spectacle, en restant cependant indépendant des personnages qui paraissent, parlent, chantent et jouent sur la scène.

Après tous ces éloges, il y aurait encore bien des choses à dire sur cette remarquable tragédie. Mais une vraie œuvre d’art doit s’annoncer, s’expliquer, et se concilier la faveur par elle-même ; aucun commentaire ne peut la remplacer ; nous nous bornons donc à souhaiter à l’auteur de continuer heureusement sa route ; qu’il laisse de côté les vieilles règles, et qu’il nous donne des œuvres si sagement et si mûrement composées que l’on puisse, d’après elles, tracer de nouvelles règles. Nous lui donnons ce témoignage, que chaque détail de sa tragédie est choisi avec esprit et justesse, et nous affirmons, autant qu’un étranger peut se permettre de le faire après un examen sévère, qu’il n’y a pas un seul mot de trop, et qu’on n’en désire pas un seul de plus. Partout règnent une précision et une gravité viriles, et sa pièce mérite le titre de pièce classique. Qu’il continue à se rendre digne du bonheur de parler et de faire parler ses héros dans une langue si parfaite, si mélodieuse, devant un peuple d’un esprit si délicat. Qu’il dédaigne l’émotion vulgaire, et qu’il ne cherche à exciter que cette émotion qui naît en nous en présence de nobles et grands sentiments.

Le mètre adopté est l’ïambe de onze syllabes ; le déplacement des césures rend ce vers tout à fait semblable au récitatif, et la musique pourrait très-bien accompagner la voix qui déclamerait avec goût et sentiment. L’enjambement[1] rend plus remarquable

  1. Le mot français est cité par Goethe.