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quelques considérations générales, et voici pourquoi : Une théorie, de quelque nature qu’elle soit, présuppose toujours quelque fait positif que l’on cherche à expliquer. Depuis Aristote jusqu’à Kant, nous devons d’abord chercher le point spécial qui a embarrassé les hommes extraordinaires qui ont publié de grandes œuvres avant de pouvoir comprendre pourquoi ils se sont livrés à tous leurs travaux. Il en est de même pour tous ces écrits de Milan : nous aurions beau les lire avec la meilleure volonté du monde, avec l’attention la plus scrupuleuse, nous ne saurions toujours pas pourquoi ils ont été imprimés, comment la discussion est née, comment il se fait qu’elle ait gardé son intérêt et sa vie. Pour en savoir sur ce sujet plus que nous n’en avons dit plus haut, il faudrait faire un long séjour à Milan même. Une grande et magnifique ville, qui pouvait il y a peu de temps se regarder comme la tête de l’Italie, qui doit encore reporter avec complaisance ses souvenirs vers la grande époque, renferme dans son sein (pour ne pas parler des tableaux et des édifices admirables ) une foule d’œuvres d’art, vivantes, variées, dont, nous autres Allemands, nous ne pouvons avoir aucune idée. Pour juger toutes ces œuvres, les Milanais agissent comme les Français, en montrant cependant un esprit plus libéral ; ils reconnaissent différents genres séparés. La tragédie, la comédie, l’opéra, le ballet, et même le décor et le costume sont des développements particuliers de l’art, auxquels le public et le théoricien reconnaissent des lois, des limites, des droits séparés et distincts. Ce qui est défendu à l’un est permis à l’autre ; ici sont établies des restrictions, là règne une liberté complète. Mais toutes ces distinctions reposent sur une expérience directe et personnelle ; c’est la vue même des choses qui les fait établir ; jeunes et vieux, ignorants ou savants, esprits libres ou attachés à un parti, passionnés pour une cause ou pour une autre, tous disent leur avis sur la question du jour, agitée partout. Il est donc évident que l’habitant de Milan peut seul porter un jugement en pareilles matières ; et même l’étranger se trouvant à Milan pour un certain temps ne serait pas capable d’émettre un avis raisonnable, car son coup d’œil jeté sur une vie si variée ne peut tout percer en un instant, et le présent se rattache par des liens étroits au passé.

Ces difficultés de jugement n’existent pas pour les Hymnes d’Alexandre Manzoni. Les voix graves et profondes de la religion et de la poésie savent réunir les hommes que les incidents variés de la