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des idées fausses, il faut reconnaître aussi que le vulgaire a trop vite fini en appelant romantique tout ce qui lui paraît ténébreux, niais, embrouillé, incompréhensible ; en Allemagne, n’avons-nous pas vu le noble nom de Philosophie de la Nature devenir insolemment une espèce de sobriquet et d’outrage. Nous ferons donc très-bien d’observer avec attention ces événements, car c’est un miroir dans lequel nous apercevons notre conduite passée et présente avec plus de clarté que si nous ne sortions pas de notre horizon, comme nous l’avons fait jusqu’à présent.

Nous voulons en conséquence suivre le sort de l’entreprise tentée à Milan par un certain nombre d’hommes aimables et instruits, qui, avec grâce et politesse, cherchent à rapprocher les divers partis et à les amener tous au point de vue véritable. Ils ont annoncé un journal, le Conciliateur, mais le numéro dans lequel ils exposent leurs idées a été déjà reçu par des injures blessantes ; le public, suivant son louable usage, tourne en ridicule les deux opinions, et détruit tout intérêt sérieux. Cependant, avant peu, les romantiques auront là-bas aussi la majorité, parce que leurs œuvres pénètrent profondément dans la vie actuelle ; donnant une expression à tous les sentiments du jour présent, ils entraînent le lecteur dans un monde où il se sent à l’aise. Ce qui les favorise aussi, c’est qu’on met par erreur au compte du romantisme tout ce qui a une couleur patriotique et indigène ; si l’amour pour la langue maternelle et les sentiments religieux du pays amènent certains faits, ils sont attribués au romantisme. Ainsi, pour que les inscriptions soient intelligibles à tous, on commence à les rédiger en italien, et non plus en latin comme autrefois ; on dit alors que ce changement est dû à la doctrine nouvelle. Il est facile de voir par là que sous ce nom de romantisme on comprend tout ce qui a une vie actuelle, énergique et efficace. C’est un exemple curieux du changement complet de sens que les mots peuvent recevoir de l’usage, car les idées romantiques, à bien considérer, ne sont pas plus près de nous que les idées grecques ou romaines.

— Ces lignes étaient écrites depuis plusieurs mois ; je les avais rédigées d’après des renseignements particuliers. Nous avons reçu depuis lors le Conciliatore et les autres écrits dont nous parlions. Dans l’espérance d’être agréable et utile à nos lecteurs, nous les avons examinés avec soin. Nous ignorons si d’autres publications ont été faites à ce sujet ; pour notre part, nous nous bornerons à