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tous les esprits cultivés retenir ces paroles ; puissent également les jeunes gens bien doués être excités par là à se rendre maîtres de plusieurs langues, comme d’instruments nécessaires à la vie et qu’ils doivent toujours avoir à leur libre disposition.


FAUST.
Tragédie de M. de Goethe, traduite en français par M. Stapfer, ornée de dix-sept dessins par M. Delacroix.

En voyant devant moi, dans une édition de luxe, la traduction française de mon Faust, je suis ramené, par mes souvenirs, au temps où cet ouvrage a été médité, conçu et écrit ; j’étais alors dans un état d’âme étrange. S’il a eu partout un succès dont je vois encore la preuve, en ce moment même, dans ce luxe de typographie, c’est qu’il renferme, fixé là pour toujours, le tableau du développement d’un esprit pareil au nôtre, qui a souffert de toutes les peines qui tourmentent l’humanité, qui a éprouvé toutes les agitations qui la troublent, qui a partagé toutes ses haines, et qui a joui de toutes les félicités auxquelles elle aspire. Aujourd’hui, toutes ces émotions sont bien loin du poëte ; le monde aussi a d’autres luttes à soutenir ; cependant les joies et les douleurs de l’âme sont toujours à peu près les mêmes, et le dernier né aura toujours raison de s’inquiéter des bonheurs et des souffrances que l’on a éprouvés avant lui, pour se préparer à ce qui l’attend à son tour.

Les éléments de ce poème sont d’une nature sombre ; les scènes qu’il présente, malgré leur variété, sont toujours faites pour inspirer un certain effroi ; mais transporté dans la langue française, qui donne à tout un caractère plus serein, plus clair, plus saisissable, il paraît de beaucoup plus lumineux et plus raisonné. Dans ce volume, le format in-folio, le papier, les caractères, la typographie, la reliure, tout enfin est d’une beauté parfaite, et tout contribue à effacer pour moi l’impression que l’ouvrage produisait sur mon esprit, quand après l’avoir laissé quelque temps de côté, je le reprenais pour m’assurer de sa nature et de ses qualités.

Il est bien curieux que l’esprit d’un artiste ait trouvé dans cette œuvre obscure tant de plaisir, et se soit si bien assimilé