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sion des œuvres de Piron semble ridicule, car, pourquoi voudrait-on nous priver des essais, des spirituelles et légères compositions d’un bon esprit ? Ce sont d’ailleurs ces œuvres légères qui nous font aimer d’abord Piron. Il avait reçu des facultés remarquables, énergiques ; né et élevé dans une ville de province, il vécut pauvre à Paris, et se développa presque seul ; sa pauvreté l’empêcha de profiter pour son éducation de tous les secours que son siècle aurait pu lui fournir. Voilà pourquoi ses premiers ouvrages offrent des taches. Nous ne dissimulons pas que celles de ses œuvres qui nous intéressent presque le plus, sont celles que son talent donnait un peu au hasard. Comme Gozzi, quoique avec moins de puissance et de variété, il se fit le soutien de théâtres d’un ordre limité et restreint ; les œuvres qu’il écrivit ainsi firent leur réputation, et il trouva lui-même son bonheur à avoir créé un genre nouveau. On sait que les théâtres de Paris étaient alors rigoureusement distingués les uns des autres ; chacun d’eux avait un privilège spécial pour telle ou telle espèce de spectacle. Tous les privilèges avaient déjà été accordés, lorsqu’un acteur obtint la permission de jouer des monodrames, dans le sens strict du mot ; des comparses pouvaient paraître sur la scène, mais l’action et la parole n’étaient permises qu’à un seul personnage. Ce sont des pièces de ce genre que Piron écrivit, et avec succès. Remercions les éditeurs de ses œuvres de nous avoir conservé ces bagatelles que nous auraient ravies les savants dédains des critiques pharisiens. Piron a montré aussi beaucoup d’esprit dans des vaudevilles. Il excellait à adapter de nouvelles paroles à des chansons connues, et il a fait en ce genre un grand nombre de très-jolis morceaux. Lorsqu’il écrivit des pièces régulières pour le Théâtre-Français, longtemps le public l’accueillit fort mal, mais il fut enfin aussi heureux avec sa Métromanie qu’il avait été malheureux avec ses premières œuvres. Il avait su si bien prendre ses compatriotes par leur côté faible que, à son apparition et longtemps encore après, on exagéra de beaucoup la valeur de cette comédie. On le plaça à côté de Molière, avec lequel il est impossible de le comparer. Ce n’est que peu à peu que l’on a su, en France comme partout, remettre cet ouvrage à sa vraie place.

D’une façon générale, rien n’était plus difficile aux Français que de classer un homme comme Piron ; en effet, son talent remarquable avait les qualités qui plaisent le plus à sa nation, et