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si riche de couleurs variées l’éloignement le plus marqué, quand au contraire, de même que le prince-évêque de Mayence porte la roue dans ses armoiries, tout auteur français devrait porter dans son blason poétique un symbole de l’œuvre de Du Bartas.

Pour donner plus de précision à nos idées qui, sous leur forme aphoristique pourraient paraître paradoxales, nous demanderons si les quarante premiers vers du septième jour de la Semaine de du Bartas ne sont pas excellents, s’ils ne méritent pas une place dans toute chrestomathie française, s’ils ne supportent pas la comparaison avec beaucoup d’œuvres estimées de temps plus modernes[1]. En Allemagne, tout connaisseur sera de notre avis et nous remerciera de lui avoir indiqué cet ouvrage. Quant aux Français, les bizarreries que l’on y trouve continueront à les empêcher de reconnaître ce qu’il renferme de bon et d’excellent. La cause de cette injustice se trouve dans l’effort continuel que la raison a fait en France pour séparer de plus en plus les divers genres de poésie et de style. Cette raison a toujours pris plus de

  1. Voici ces vers :

    Le peintre, qui tirant un divers paysage
    A mis en œuvre d’art la nature et l’usage
    Et qui, d’un las pinceau, sur si docte portrait
    A, pour s’éterniser, donné le dernier trait.
    Oublie ses travaux, rit d’aise en son courage,
    Et tient toujours ses yeux collés sur son ouvrage.
    Il regarde tantôt par un pré sauteler
    Un agneau qui toujours, muet, semble bêler ;
    Il contemple tantôt les arbres d’un bocage,
    Ore le ventre creux d’une grotte sauvage,
    Ore un petit sentier, ore un chemin battu,
    Ore un pin baise-nue, ore un chêne abattu.
    Ici, par le pendant d’une roche couverte
    D’un tapis damassé moitié de mousse verte,
    Moitié de vert lierre, un argenté ruisseau
    À flots entrecoupés précipite son eau ;
    Et qui courant après, or’ sus, or’ sous la terre,
    Humecte, divisé, les carreaux d’un parterre.
    Ici l’arquebusier, de derrière un buis vert,
    Affûté, vise droit contre un chêne couvert
    De bisets passagers. Le rouet se débande ;
    L’amorce vole en haut ; d’une vitesse grande
    Un plomb environné de fumée et de feu
    Comme un foudre éclatant court par le bois touffu.
    Ici, deux bergerots sur l’émaillé rivage
    Font à qui mieux courra pour le prix d’une cage ;
    Un nuage poudreux s’émeut dessous leurs pas ;