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tragédie, et par le fond des idées et par la conduite de l’action ; c’est du moins l’impression qu’elle nous a toujours laissée ; car ce qui apparaît là devant nos yeux et devant notre esprit, c’est ce qui nous réduit souvent au désespoir, et ce qui a pu chasser l’auteur de ce monde. Le Misanthrope est le portrait d’une âme vraie et pure, qui, tout en acquérant les qualités dues à un état avancé de civilisation, est cependant restée naturelle. Elle a le plus vif désir d’être avec les autres comme avec elle-même : sincère et consciencieuse ; c’est ainsi qu’elle entre en conflit avec la société, dans laquelle il est impossible de vivre sans fausseté et sans légèreté superficielle. Le sujet de Timon, comparé à celui-ci, paraît comique ; et je voudrais voir un écrivain d’esprit tracer le portrait de cet original qui se trompe constamment sur le monde, et qui se flatte très-fort parce qu’il croit que c’est le monde qui le trompe.

— Le Tartuffe de Molière excite notre haine ; c’est un criminel, qui feint hypocritement la piété et la moralité pour porter, dans une famille bourgeoise, toute espèce de ruine ; le dénoûment par la police est donc très-naturel et très-bien accueilli. Dans les derniers temps, cette pièce a été reprise et remise en honneur, parce qu’elle servait à révéler les menées secrètes d’une certaine classe d’hommes qui menaçait de pervertir le gouvernement. Ce n’était pas du tout la beauté et le génie de cette œuvre que l’on apercevait et que l’on applaudissait ; la pièce n’était qu’une arme hostile ; les partis étaient en lutte, l’un voulait se défendre contre les maux que l’autre cherchait à répandre. Ce qui paraissait saillant dans la pièce, c’était le sujet, qui est toujours vivant, et, qui grâce à l’art avec lequel il est traité, conserve toujours son effet.


DU GOUT[1].

« Le goût… dit-il, le goût est une chose… Par le ciel, il disait que le goût était quelque chose, mais je ne sais plus quoi. Il ne le savait peut-être pas lui-même ! » — Dans ce passage du Neveu de Rameau, Diderot a voulu montrer le ridicule de ses

  1. Extrait des notes du Neveu de Rameau.