Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas au hasard, mais à dessein, et celui qui y regardera de près admirera l’habileté de l’art qu’il a montré à cette occasion. Tous ces précédents existent déjà ; il faut maintenant qu’un grand talent, comme Victor Hugo, se serve avec aisance, liberté et intelligence, de tous ces masques, de tous ces instruments poétiques pour réjouir et charmer son public.


LE THÉÂTRE ANGLAIS À PARIS (1827).

Nous autres, bons Allemands (et parmi eux je me compte), depuis cinquante ans nous ne cessons de nous occuper de l’invincible Shakspeare. Fidèles à nos habitudes d’examen consciencieux et approfondi, nous nous efforçons de pénétrer l’essence intime de son être ; nous admirons de toutes nos forces le fond de ses poèmes, nous cherchons à développer ses procédés dramatiques, à suivre leur marche, à faire comprendre ses caractères ; cependant, après tant de peines, nous semblons être encore loin du but. Et même, dernièrement, nous paraissions être sur une voie singulièrement fausse et rétrograde, en cherchant à présenter lady Macbeth comme une tendre épouse[1]. N’est-ce pas un signe que nous sommes au bout de nos efforts, puisque le vrai nous répugne, et que l’erreur nous sourit ? Nos voisins de l’Ouest, doués du sens de la vie pratique, agissent en cette circonstance tout autrement. Ils ont le bonheur de voir passer devant eux les meilleures pièces de Shakspeare jouées par les meilleurs acteurs anglais. Assistant chez eux à ce spectacle, ils peuvent, en mettant de côté les vieux préjugés, l’apprécier cependant avec les idées du goût national, et, en appliquant en toute liberté d’esprit la mesure française à cette œuvre anglaise, ils ont une occasion excellente pour arriver à un jugement vraiment large et élevé. Quant à la nature intime du poëte et de sa poésie (que d’ailleurs personne ne pénétrera), ils ne s’en inquiètent pas ; ils ne donnent leur attention qu’à l’effet produit, car, en fin de compte, tout aboutit là ; et pour rendre cet effet plus grand, les critiques exposent, dans les journaux, les émotions que chaque spectateur ressent et doit ressentir au fond de lui-même, sans en avoir

  1. Idée exprimée par Tieck dans ses Feuilles dramaturgiques.