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ne reposent pas sur un phénomène sensible[1]. Oui, si nous connaissions bien notre cervelle, et le lien qui l’unit à Uranus, et les milliers de fils entremêlés sur lesquels passe et repasse la pensée !… Mais nous n’avons le sentiment des éclairs de pensée qu’au moment où ils nous frappent ! Nous ne connaissons que les ganglions, les parties extérieures de la cervelle, mais de sa nature intime nous ne savons pour ainsi dire rien ! Que voulons-nous donc savoir de Dieu ?…

« On a pris beaucoup d’ombrage de cette parole de Diderot : « Si Dieu n’est pas encore, il sera peut-être. » Mais, suivant les vues que j’ai sur la nature, et d’après ses lois, on conçoit pourtant très-bien l’existence de planètes que les monades supérieures ont déjà abandonnées, ou dans lesquelles les monades n’ont pas encore reçu le don de la parole. Il ne faut par exemple qu’une constellation, qui ne se rencontre pas tous les jours, il est vrai, pour que l’eau disparaisse et que la terre se sèche. De même qu’il y a des planètes d’hommes, il peut y avoir très-bien des planètes de poissons et des planètes d’oiseaux où Dieu n’existera pas. Dans une conversation avec vous, j’ai appelé un jour l’homme le premier entretien de la nature avec Dieu. Je ne doute pas que sur d’autres

  1. C’est ainsi qu’en repoussant de la science la théorie des causes finales comme une loi fausse, Goethe l’admettait dans la vie comme un sentiment vrai. « La raison critique, dit-il, a mis de côté la preuve théléologique c10 de l’existence de Dieu ; nous acceptons cet arrêt. Mais ce qui n’a plus de valeur comme preuve, en conserve comme sentiment ; nous rappelons ainsi à nous les pieuses démonstrations dans lesquelles tout, depuis le tonnerre jusqu’à la neige, sert à prouver Dieu. Et, en effet, comment pourrions-nous, dans l’éclair, dans la foudre, dans la tempête, ne pas reconnaître la présence d’une souveraine puissance ?… Dans le parfum des fleurs, dans le murmure d’une brise caressante, comment ne pas sentir l’approche d’un Être qui nous aime ?… » (Pensées)

Errata :

c10. texte corrigé, voir ERRATA, IIe volume