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nouvelle de toute la création[1]. Appelées ou non appelées, elles viennent d’elles-mêmes par toutes les routes, de toutes les montagnes, de toutes les mers, de toutes les étoiles ; qui peut les arrêter ? Je suis sûr que là où vous me voyez, je suis déjà venu mille fois et que j’y reviendrai mille fois encore. » — « Pardon, dis-je, mais je ne sais pas si j’appellerais un retour, un retour sans conscience, car celui-là seul revient, qui sait qu’il a déjà été ici. En observant la nature, dites-vous aussi, des souvenirs vous sont venus comme des lueurs brillantes sortant de ces états antérieurs du monde auxquels votre monade assistait peut-être, maîtresse alors d’elle-même ; mais tout cela ne repose enfin que sur un peut-être. Pour des questions aussi importantes, j’aimerais mieux me croire capable d’arriver à une plus grande certitude que celle qui est donnée par ces pressentiments et ces éclairs du génie, éclairant parfois les sombres abîmes de la création. Est-ce que nous ne serions pas plus près de ce but, en supposant au centre de la création une monade principale, douée d’amour, et se servant de toutes les monades de cet univers placées au-dessous d’elle comme notre âme se sert des monades inférieures soumises à notre dépendance ? »

« Je n’ai rien à opposer à cette conception, répondit Goethe, considérée comme foi ; mais je n’ai pas l’habitude de donner une force démonstrative à des idées qui

  1. Das Werden der Schœpfung. C’est altérer un peu le sens de Werden que d’y voir seulement l’idée de développement. Werden doit faire entendre que le monde naît éternellement ; dire que le monde est, ce n’est pas assez ; il vit ; et comment vit-il ? Il vit éternellement à l’état naissant. Donc il est au-dessus du temps.