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vue générale de leur histoire, comme il y a aussi parmi les monades des natures plus hautes que la nôtre. La monade d’un monde peut, du sein obscur de ses souvenirs, faire sortir beaucoup d’idées qui auront les apparences d’idées prophétiques et qui cependant au fond ne seront que les souvenirs confus d’une vie antérieure écoulée, et par conséquent un acte de la mémoire. C’est ainsi que le génie de l’homme a mis à nu les tables sur lesquelles étaient inscrites les lois qui ont présidé à la naissance de l’univers ; une forte tension de l’esprit n’aurait pas suffi ; il a fallu un souvenir qui, comme un éclair, est venu briller dans nos ténèbres, souvenir de la création à laquelle notre âme assistait. Il serait téméraire de vouloir fixer une mesure précise à ces lueurs subites et passagères qui viennent briller un instant dans la mémoire des hautes natures. — Je ne vois rien dans notre pensée qui répugne à accorder à la monade d’un monde cette persistance de la conscience, entendue ainsi d’une façon générale et historique.

« Quant à ce qui nous regarde nous-mêmes, il semble que les existences que nous avons déjà traversées sur cette planète soient, considérées dans leur ensemble, trop peu importantes, trop médiocres, pour qu’une grande partie de leurs événements ait été jugée digne par la nature d’entrer dans une seconde mémoire. Même dans notre état actuel, il faudrait, parmi nos souvenirs, faire un grand choix, et il est probable que, plus tard, notre monade principale n’aura de cette vie qu’un souvenir sommaire, c’est-à-dire n’en gardera dans sa mémoire que quelques grands moments historiques. »

Ces paroles de Goethe me rappelèrent tout à coup une pensée analogue que Herder, dans un moment de som-