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mon de l’hypocondrie. Il faudrait que le pouvoir prît des mesures pour préserver au moins les générations futures de cette altération. Espérons cependant et attendons, ajouta-t-il en souriant ; dans un siècle, peut-être, les Allemands sauront n’être plus des savants abstraits et des philosophes, mais bien des hommes. »

* Vendredi, 16 mai 1828.

Je suis allé me promener en voiture avec Goethe. Il s’est amusé du souvenir de ses discussions avec Kotzebue et consorts[1] et il a récité quelques épigrammes très-gaies dirigées contre Kotzebue, épigrammes d’ailleurs plus comiques que blessantes. Je lui demandai : « Pourquoi ne les insérez-vous pas dans vos œuvres ? » — Il me répondit : « J’ai toute une collection de semblables poésies que je garde secrètes et que je ne montre qu’à l’occasion à mes amis les plus sûrs. — C’était là l’unique et innocente arme dont je disposais pour répondre aux attaques de mes ennemis. Je m’épanchais en silence, et avec elles je me délivrais et je me purifiais des fâcheux sentiments de malveillance, que sans cela j’aurais dû éprouver et nourrir contre mes adversaires, qui souvent me faisaient en public des égratignures très-malignes. Je me suis ainsi par ces petites poésies rendu personnellement à moi-même un service essentiel. Mais je ne veux pas occuper le public de mes affaires privées et blesser des personnes encore vivantes. Plus tard une pièce, puis une autre pourra se publier sans inconvénient. »

  1. Voir la Correspondance de Goethe et de Schiller. M. Saint-René Taillandier a raconté dans son commentaire si intéressant la conspiration que Kotzebue organisa contre Goethe en mars 1802.