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ramasser. » Après un léger sommeil, il demanda un carton avec des dessins qu’il croyait avoir vus dans sa vision.

Peu à peu sa parole devenait plus pénible et plus obscure. — « Plus de lumière ! » furent, dit-on, les derniers mots que l’on put entendre tomber des lèvres de cet homme qui, toute sa vie, avait été l’ennemi des ténèbres de toute nature. Son esprit resta actif, même après qu’il eût perdu l’usage de la parole ; suivant une de ses habitudes quand un sujet le préoccupait fortement, il traça avec l’index des signes dans l’air ; peu à peu il traça ces signes moins haut, et enfin, sa main, tombant sur la couverture étendue sur ses genoux, y traça des mots inconnus.

À onze heures et demie, il appuya sa tête sur le côté gauche du fauteuil et s’endormit doucement.

On attendait autour de lui son réveil. — Il ne vint pas. Goethe était mort.

Il mourait juste sept ans après l’incendie du théâtre de Weimar, le 22 mars, jour qu’il avait depuis longtemps considéré comme un jour de malheur.

Le matin qui suivit le jour de sa mort, je me sentis un profond désir de voir sa dépouille terrestre. Son fidèle serviteur Frédéric m’ouvrit la chambre où il avait été déposé. Étendu sur le dos, il reposait comme un homme endormi ; la fermeté, et une paix profonde se lisaient sur les traits pleins d’élévation de son noble visage. Son puissant front semblait encore garder des pensées. J’aurais désiré une boucle de ses cheveux, mais le respect m’empêcha de la couper. Le corps, mis à nu, était enseveli dans un drap blanc ; on avait mis alentour de gros mor-