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Le lundi, il se leva, lut des brochures françaises, examina des gravures, et, dans sa conversation avec M. Vogel, lui recommanda plusieurs de ses protégés[1].

Mais, dans la nuit du 19 au 20, la maladie prit tout à coup un caractère menaçant. Après quelques heures de sommeil calme, Goethe vers minuit se réveilla et sentit de minute en minute un froid qui, de ses mains, étendues nues sur son lit, gagnait tout le corps. Une douleur excessive se répandit d’abord sur les membres, puis sur la poitrine, et la respiration devint difficile. — Mais Goethe ne voulut pas que son domestique appelât le médecin. — « Ce ne sont que des souffrances, dit-il, il n’y a pas danger. » — Le matin, ces souffrances, toujours plus vives, le chassèrent de son lit ; il se mit sur un fauteuil ; ses dents claquaient de froid. La douleur qui torturait sa poitrine lui arrachait des gémissements, et de temps en temps un cri. Ses traits étaient bouleversés, son teint couleur de cendre ; ses yeux, livides et enfoncés dans l’orbite, avaient perdu tout éclat ; son corps, froid comme une glace, dégouttait de sueur ; sa soif était ardente ; quelques mots péniblement articulés firent comprendre qu’il craignait une hémorrhagie pulmonaire. — Son mé-

  1. À cette occasion M. Vogel a écrit : « Quand on a été aussi souvent que moi l’intermédiaire des bienfaits que Goethe répandait en secret, surtout sur les malades, et cela de son propre mouvement et avec sa propre fortune, on ne peut douter que l’on regardera comme une impertinente et une méchante calomnie, ou comme une impudence effrontée, ce dur reproche, fait fréquemment à Goethe, de ne s’être inquiété du bien-être ou de la souffrance des autres, et en particulier de ses domestiques, que tout au plus par un grossier égoïsme. Ce qui est vrai, c’est que la mendicité, telle qu’elle se présente ordinairement, cette manière déplaisante de vous arracher l’aumône, le choquait beaucoup ; sa bienfaisance fuyait toute ostentation, et, par suite d’expériences fâcheuses qu’il avait faites, il était toujours, et peut-être d’une façon trop absolue, partisan du secret. »