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pas compte, et c’est ainsi que son œuvre, réunion complexe de qualités acquises et de qualités innées, prend un caractère nouveau et frappant. — Acceptez ces réflexions générales comme une réponse rapide à vos questions répétées.

« Voilà plus de soixante ans que j’ai conçu le Faust ; j’étais jeune alors, et j’avais déjà clairement dans l’esprit, sinon toutes les scènes avec leur détail, du moins toutes les idées de l’ouvrage. Ce plan ne m’a jamais quitté ; partout il m’accompagnait doucement dans ma vie, et de temps en temps je développais les passages qui m’intéressaient à ce moment même. Il était resté dans la seconde partie un certain nombre de lacunes, qu’il fallait remplir sans y laisser languir l’intérêt, et j’ai éprouvé combien il était difficile de faire par la volonté seule ce qui devait être l’œuvre de l’instinct libre et spontané. Il eût été malheureux que l’expérience d’une si longue vie, consacrée à la réflexion active, ne me rendît pas ce travail possible. On pourra cependant reconnaître les premiers passages et les derniers, l’ancien et le nouveau ; cela ne m’inquiète pas ; c’est une distinction que nous abandonnons à la bienveillante pénétration des futurs lecteurs.

« Parlez-moi donc aussi de vos travaux[1]. Riemer, comme vous le savez, s’occupe de l’étude des langues, et nous touchons souvent à ces matières dans nos entretiens du soir. Pardonnez à ma réponse d’avoir tant tardé. Malgré ma vie retirée, je trouve rarement une heure où je puisse mettre tranquillement mon esprit en présence de ces mystères de la vie. Tout à vous,           J. W. Goethe. »

Weimar, 17 mars 1832.

  1. La réponse de Humboldt arriva le jour des funérailles de Goethe.