Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’antiquité ne nous a rien laissé de pareil pour le pittoresque de la composition et pour le fini de l’exécution. » — Il s’entretint vivement de ces dessins avec la grande-duchesse quand, suivant son habitude, elle vint, le jeudi 15 mars, lui faire sa visite. Pendant le diner il en causa encore avec Meyer, et montra beaucoup de vivacité et de gaieté. — Ces émotions, qu’il devait à l’art, la passion de toute sa vie, devaient être les derniers moments heureux de son existence.

Après diner, malgré le froid et le vent, il voulut faire une promenade en voiture. En sortant de son cabinet d’étude, très-chauffé comme toujours, et en passant dans le froid vestibule qui conduit aux pièces donnant sur la rue, ou bien pendant sa promenade, il eut sans doute un refroidissement. Il se sentit mal à l’aise à son retour, et dormit mal la nuit suivante. M. Vogel, appelé le matin à huit heures, fut frappé de son regard éteint ; ses yeux, qui d’habitude avaient une vivacité et une mobilité toutes particulières, étaient mornes. Son ouïe, déjà un peu dure, s’était affaiblie tout à coup d’une manière très-sensible. Dans ses premières maladies, Goethe avait montré de l’emportement contre le mal ; au contraire, depuis plusieurs années, il se montrait tout à fait calme, disant souvent : « Quand on n’a plus le droit de vivre, on doit accepter la vie comme elle vient. » Dans cette dernière attaque, Goethe montrait une résignation qui frappait l’esprit. Grâce aux soins du médecin, un mieux se manifesta, et le soir Goethe retrouva son enjouement habituel. Le samedi 17, il envoya à Guillaume de Humboldt la dernière lettre qu’il ait écrite. Elle montre avec quelle aisance, à cette heure suprême, jouaient encore tous les ressorts de son esprit. Voici cette lettre :