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des exigences toutes pareilles. Dès qu’un système trouve son vrai héros, il parvient à se rendre compte du monde, même quand il s’agirait du système cynique. Ce qui échoue dans la contradiction, c’est ce qui est appris ; mais nous savons défendre ce qui est inné en nous, et souvent nous savons très-bien vaincre tous nos adversaires. Il n’y a pas à s’étonner que la nature délicate de Wieland, par exemple, ait été attirée vers la philosophie d’Aristippe, et la même raison explique parfaitement son éloignement marqué pour Diogène et pour tout cynisme. Un esprit en qui est inné l’amour de toutes les élégances ne peut pas se plaire dans un système qui les renverse toutes. Il faut d’abord être en harmonie parfaite avec notre nature, et nous pourrons alors, sinon faire taire, du moins adoucir toutes les dissonances extérieures qui nous entourent.

« Je soutiens qu’il y a même, en philosophie, des éclectiques nés ; et, quand dans un homme l’éclectisme sera inné, je le trouverai bon et ne lui en ferai jamais un reproche[1]. Combien d’hommes, par leurs penchants naturels, sont moitié stoïciens, et moitié épicuriens ! Je ne serai donc pas étonné, si ces hommes acceptent les

  1. « Il ne peut pas y avoir de philosophie éclectique ; il n’y a que des philosophes éclectiques. — L’éclectique est celui qui choisit dans ce qui l’entoure, dans ce qui se passe autour de lui, tout ce qui est en harmonie avec sa propre nature, pour se l’approprier ; j’entends par là qu’il doit s’assimiler tout ce qui, soit dans la théorie, soit dans la pratique, peut servir à son progrès et à son développement. Deux éclectiques pourraient donc être deux adversaires, s’ils étaient nés avec des dispositions différentes ; car ils prendraient, chacun de leur côté, dans la tradition philosophique, ce qui leur conviendrait. Que l’on jette les yeux autour de soi, on verra que tout homme, au fond, agit ainsi ; et voilà comment on ne s’explique jamais pourquoi on ne parvient pas à convertir autrui. » (Pensées.)