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dans notre vie même. « Stoïcien, platonicien, épicurien, chacun doit à sa manière régler son compte avec l’Univers, disait-il à Falk[1] ; c’est pour résoudre ce problème que nous avons reçu la vie, et personne, quelle que soit l’école à laquelle il se rattache, ne peut s’y soustraire. Chaque philosophie n’est rien autre chose qu’une forme différente de la vie. Pouvons-nous entrer dans cette forme ; pouvons-nous, avec notre nature, avec nos facultés, la remplir exactement, voilà ce qu’il s’agit de chercher. Il faut faire des expériences nous-mêmes ; toute idée que nous absorbons est comme une nourriture que nous devons examiner avec le plus grand soin ; autrement nous anéantissons la philosophie ou la philosophie nous anéantit. À la sévère tempérance de Kant, par exemple, convenait une philosophie appropriée à ses penchants innés. Lisez sa vie, et vous verrez bien vite comme il a su adroitement émousser le tranchant de son stoïcisme, qui était réellement en contradiction absolue avec les relations sociales ; il l’a accommodé comme il le fallait et l’a mis en équilibre avec le monde. Les inclinations de chaque individu lui donnent droit à des principes qui ne le détruisent pas en tant qu’individu. — Si on ne trouve pas là l’origine de toutes les philosophies, on ne la trouvera nulle part. Zenon et les stoïciens étaient présents à Rome, bien longtemps avant que leurs écrits y parvinssent. Ce rude esprit qui rendait les Romains capables de tant d’actes héroïques, de tant de beaux faits d’armes, qui leur apprenait à mépriser toute douleur, tout sacrifice, devait les disposer aussi à accepter avec faveur des principes qui avaient avec la nature humaine

  1. Portrait de Goethe, vu dans l’intimité, pages 71 et suivantes.