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ces temps reculés s’est retiré à l’écart, que l’homme maintenant marche tout seul, et doit voir à se conduire sans Dieu et sans son souffle invisible de chaque jour ; on lui accorde bien encore une action divine sur les questions de religion et de morale, mais les œuvres scientifiques et artistiques sont considérées comme purement terrestres, et dues à l’action de forces purement humaines. — Que quelqu’un essaye donc, avec sa seule volonté, avec sa seule puissance d’homme, de produire une œuvre qui puisse se placer à côté des œuvres qui portent le nom de Mozart, de Raphaël, de Shakspeare ! Ces trois nobles créatures ne sont pas du tout les seules, et dans toutes les branches de l’art il y a une infinité d’excellents esprits qui ont produit des œuvres aussi bonnes que celles des hommes que je viens de nommer ; s’ils ont été aussi grands, ils ont autant surpassé la nature ordinaire de l’homme, ils ont été aussi divinement doués. — Voici donc la vérité sur ce point : Après ce que l’on a eu l’idée d’appeler les six jours de la création. Dieu ne s’est pas du tout consacré au repos ; il agit toujours, et maintenant comme au premier jour. Cela aurait été une pauvre distraction pour lui de combiner quelques éléments pour fabriquer notre monde informe, et de le faire rouler tous les ans sous les rayons du soleil, s’il n’avait pas eu le plan de faire de cet amas de matière la pépinière d’un monde d’esprits. Il vit toujours et sans cesse dans les grandes natures pour élever vers lui les natures inférieures. »

Toute science apprise et retenue par cœur paraissait mauvaise à Goethe. Il pensait que, pour avoir quelque valeur, une philosophie doit être transportée par nous