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grand plaisir à voir les Allemands, surtout les jeunes savants qui viennent d’un certain pays du nord-est[1], je mentirais. La vue basse, le teint pâli, la poitrine affaissée, jeunes sans jeunesse, voilà le portrait de la plupart de ceux qui se présentent. Et lorsque je me mets à causer avec eux, je vois tout de suite que ce qui nous plaît leur semble trivial et de nulle valeur. — Ils sont tout entiers plongés dans l’idée, et ne savent s’intéresser qu’aux plus hauts problèmes de spéculation. — Il n’y a pas trace en eux de cette santé intellectuelle qui nous fait aimer les choses qui agissent sur les sens ; tous les sentiments jeunes, tous les plaisirs de la jeunesse sont partis pour eux, et ils ne peuvent plus revenir, car celui qui n’est pas jeune à vingt ans, que sera-t-il à quarante ! »

Goethe poussa un soupir, et se tut.

Je pensais à la jeunesse de Goethe, qui appartient à une époque si heureuse du siècle précédent ; je sentis passer sur mon âme le souffle d’été de Sesenheim, et dans ma mémoire revinrent les vers :

L’après-midi toute la bande de la jeunesse
Allait s’asseoir sous les frais ombrages…

« Hélas ! dit Goethe en soupirant, oui, c’était là un beau temps ! Mais chassons-le de notre esprit pour que les jours brumeux et ternes du temps présent ne nous deviennent pas tout à fait insupportables. »

« — Il serait bon, dis-je, qu’un second Sauveur vint nous délivrer de l’austérité pesante qui écrase notre état social actuel. »

  1. Berlin sans doute, Goethe, on l’a vu plusieurs fois, n’a pas de sympathie pour l’esprit berlinois, esprit négatif, prosaïque, vain et moqueur. « Les Berlinois sont les Gascons de l’Allemagne, » disait Napoléon, qui ne les aimait pas plus que Goethe.