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Je ne lui reproche pas de chercher à devenir riche, à jouir de la faveur du jour ; mais, s’il veut vivre longtemps dans la postérité, il faut qu’il commence à moins écrire et à plus travailler. » — Goethe analysa alors Marion Delorme et chercha à m’expliquer que le sujet ne prêtait qu’à un seul acte, mais très-tragique, et que l’auteur, par des motifs tout à fait secondaires, s’était laissé aller à l’étendre en cinq actes. « Nous avons eu, il est vrai, ajouta-t-il, l’avantage par là de voir que l’auteur a aussi un talent remarquable pour la peinture des détails ; talent précieux dont je reconnais la grande importance. »

Mercredi, 21 décembre 1831[1].

Diné avec Goethe. Au dessert, nous examinons quelques paysages de Poussin. « Les places, dit-il, où le peintre fait tomber la plus forte lumière, doivent être exécutées jusque dans les plus petits détails ; aussi les objets les plus favorables pour recevoir cette lumière sont l’eau, les rochers, les terrains nus, les édifices ; au contraire, les objets qui demandent un grand détail de dessin

  1. Pendant ce dernier hiver, Goethe fit connaissance avec le de Senectute de Cicéron, qu’il trouva « délicieux. » Sa belle-fille Ottilie lui lisait chaque soir les Vies de Plutarque. « Tout me semble aujourd’hui historique, écrit-il à cette occasion à Humboldt : que les événements soient très-éloignés ou tout proches de moi, c’est tout un ; je me fais moi-même l’effet d’un personnage de l’histoire, et, lorsque je pense à ce que serait ma vie, racontée à la manière de Plularque, je me semble souvent ridicule. » — En octobre il lut les Fragments de Géologie par Alexandre de Humboldt ; en novembre, Iphigénie en Aulide ; il fut frappé surtout de l’aisance avec laquelle Euripide manie la foule immense des légendes de la mythologie grecque, — Il avait de nouveau laissé de côté la lecture des journaux, « honteux d’avoir consacré inutilement tant de temps à suivre le siège de Missolonghi. » — À la fin de décembre il revint tout à fait à la science, et en janvier il rédigea sa Théorie de l’arc-en-ciel.