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richesse. Ce qui les distingue, c’est d’avoir le courage d’être tels que la nature les a faits. Il n’y a en eux rien de faussé, rien de caché, rien d’incomplet et de louche ; tels qu’ils sont, ce sont toujours des êtres complets. Ce sont parfois des fous complets, je l’accorde de grand cœur ; mais leur qualité est à considérer, et dans la balance de la nature elle pèse d’un grand poids. — Le bonheur de la liberté individuelle, la conscience qu’ils ont du nom anglais et de son importance chez les autres nations fait déjà du bien aux enfants ; dans leur famille aussi bien que dans les établissements d’éducation, on les traite avec bien plus de considération, et leur développement est bien plus libre et plus heureux que chez nous autres Allemands. — Dans notre cher Weimar, je n’ai besoin que de me mettre à la fenêtre pour voir ce qu’il en est chez nous. Quand dernièrement il est tombé de la neige, les enfants du voisinage voulaient essayer leurs petits traîneaux, aussitôt est venu un homme de la police, et j’ai vu les pauvres petits se sauver à toutes jambes. — Maintenant le soleil du printemps les attire hors des maisons, ils aimeraient bien à jouer avec leurs camarades devant leurs portes, mais je vois qu’ils sont gênés, ils manquent de sécurité : ils semblent craindre toujours l’arrivée d’un représentant de la police. — Un gamin ne peut pas faire claquer son fouet, ou chanter, ou appeler, aussitôt voilà la police qui arrive pour l’en empêcher. — Tout chez nous concourt à discipliner de bonne heure nos chers enfants et à faire envoler tout naturel, toute originalité, toute fougue ; aussi à la fin il ne reste plus rien que le Philistin. — Vous savez qu’il n’y a guère de jour où je ne reçoive la visite de quelque étranger qui passe par Weimar. Si je disais que j’éprouve