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— « C’est un mot d’une bassesse extrême, que nous devons aux Français, et dont nous devrions tâcher de nous débarrasser le plus tôt possible, dit Goethe. Comment peut-on dire que Mozart a composé son Don Juan. Composition ! comme si c’était un gâteau ou un biscuit, que l’on fabrique avec des œufs, de la farine et du sucre. Une création intellectuelle, c’est ce qui, dans le détail comme dans l’ensemble, est pénétré d’un seul esprit, conçu d’un seul jet, animé d’un souffle de vie unique ; l’auteur ne tâtonne pas, n’écrit pas par fragments, à sa fantaisie ; le démon de son génie le tient sous sa puissance, et il faut qu’il fasse ce qu’il lui commande ! »

* Dimanche, 27 juin 1831.

Nous avons parlé de Victor Hugo. « C’est un beau talent, dit Goethe, mais il est tout à fait engagé dans la malheureuse direction romantique de son temps, ce qui le conduit à mettre à côté de beaux tableaux les plus intolérables et les plus laids. Ces jours-ci j’ai lu Notre-Dame de Paris, et il ne m’a pas fallu peu de patience pour supporter les tortures que m’a données cette lecture. C’est le livre le plus affreux qui ait jamais été écrit ! Et après les supplices que l’on endure, on n’est pas dédommagé par le plaisir que l’on éprouverait à voir la nature humaine et les caractères humains représentés avec exactitude ; il n’y a dans son livre ni nature ni vérité ; ses personnages principaux ne sont pas des êtres de chair et de sang, ce sont de misérables marionnettes, qu’il manie à son caprice, et auxquelles il fait faire toutes les contorsions et toutes les grimaces qui sont nécessaires aux effets qu’il veut produire. Quel temps que celui qui