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on devient commun, matériel, et la conception élevée que l’on avait dans l’esprit n’est pas reproduite par l’expression. »

« La discussion qui s’est élevée entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire m’a démontré encore récemment combien vous avez raison, me dit Goethe. Geoffroy Saint-Hilaire est un homme qui a des vues vraiment profondes sur l’organisation et la vie intime de la nature, mais les mots usuels de la langue française ne peuvent rendre sa pensée[1], et cela non-seulement quand il s’agit d’idées abstraites, mystérieuses, mais encore pour les rapports matériels que les sens aperçoivent. Ainsi, s’il veut parler des différentes parties d’un être organisé, il n’a pas d’autre mot que matériaux, confondant ainsi et unissant par une même expression les éléments identiques qui forment l’ensemble de l’organisation d’un bras, et les pierres, les poutres, les planches qui servent dans la construction d’une maison. C’est avec autant d’impropriété dans les termes que les Français, en parlant des œuvres de la nature, emploient le mot de composition. L’expression convient quand il s’agit des différents fragments d’une machine faite morceau à morceau, mais non pas quand j’ai dans l’esprit les parties d’un tout organisé, parties qui vivent toutes par elles-mêmes et qui sont animées d’une même âme. »

— « Le mot composition, ajoutai-je, ne me paraît même pas juste et digne pour les œuvres de l’art et de la poésie. »

  1. Mais Geoffroy Saint-Hilaire ne prouve rien contre la langue française. « Il est des génies malheureux auxquels l’expression manque… qui emportent dans la tombe.., l’inconnu de leur méditation, comme disait un membre de cette grande famille de muets ou de bègues illustres : Geoffroy Saint-Hilaire. » (George Sand.)