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bliée ; seulement, la mettre à exécution est si difficile, que j’étais un peu effrayé. Par différentes petites ruses, j’ai réussi à me mettre en train, et, si la fortune me favorise, je me débarrasse dès à présent du quatrième acte. »

Parlant d’un écrivain connu, il a dit : « C’est un talent à qui la haine de parti sert d’alliée, et qui sans elle aurait eu peu d’influence. Il y a souvent en littérature des faits de ce genre, la haine remplace le génie, et des talents médiocres paraissent grands parce qu’ils sont la voix d’un grand parti. Il y a de même dans la vie une foule de personnes qui, n’ayant pas assez de caractère pour rester isolées, s’appuient contre un parti, et aussitôt elles font figure. Béranger, au contraire, est un talent qui se suffit à lui-même. Il n’a jamais obéi servilement à un parti. Il est trop heureux de ce qu’il possède pour qu’il permette au monde de lui donner ou de lui ôter quelque chose. »

Dimanche, 15 mai 1851.

Dîné seul avec Goethe dans son cabinet de travail. Il m’a dit en me tendant un papier : « Quand on a dépassé quatre-vingts ans, on a à peine le droit de vivre ; il faut être prêt chaque jour à être rappelé, et penser à ranger sa maison. Comme je vous l’ai dit récemment, je vous ai nommé dans mon testament éditeur de mes œuvres posthumes et j’ai rédigé ce matin une espèce de petit acte que vous signerez avec moi. »

Je signai, et nous causâmes de cette affaire. — « Si l’éditeur ne voulait pas dépasser un certain nombre de feuilles, dit Goethe, et s’il fallait supprimer une partie de ce que je laisse, vous pouvez ne pas imprimer la partie polémique de la Théorie des couleurs. Ma doctrine est