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feuille couverte de riches arabesques mêlées de paysages, de scènes familières, de bois, de verts gazons ; au milieu était une place vide. — « M. de Reutern désire que j’écrive quelque chose dans ce vide, dit Goethe ; mais son cadre est si splendide, si élégant, que je crains de le gâter avec mon écriture. J’ai composé quelques vers, mais je crois qu’il vaudrait mieux les faire transcrire par un calligraphe, je les signerais seulement. Que me conseillez-vous ? »

— « Je vous conseille de les écrire vous-même et en lettres allemandes, non en lettres latines, parce que votre écriture allemande conserve mieux son caractère distinctif, et que d’ailleurs elle convient mieux au cadre. »

— « Vous avez peut-être raison, et puis ce sera plus vite fait. Un de ces jours-ci il me viendra peut-être un moment de courage, pour me risquer. Mais si je fais un pâté sur la belle feuille, vous en serez responsable, » dit-il en riant. — « Pourvu que vous écriviez vous-même, dis-je, ce sera bien comme ce sera. »

Mardi, 5 avril 1831.

« Je n’ai jamais vu de talent plus agréable que celui de Neureuther[1] disait Goethe. Rarement un artiste sait se renfermer dans le cercle que la nature lui a tracé ; mais Neureuther, au contraire, est plus grand que son talent. Ravins, rochers, arbres, animaux, hommes, tout lui convient ; il dessine tout bien ; invention, art, goût, il a tout dans la perfection, et, en le voyant jouer avec ses facultés et prodiguer ainsi sa fécondité dans de légères

  1. Cet artiste, qui habite aujourd’hui Munich, s’était fait connaître par de jolies illustrations de poésies allemandes, et en particulier de poésies de Goethe.