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l’histoire de ma jeunesse, et l’histoire d’une époque à beaucoup de points de vue très-importante. »

— « Dans le récit de vos amours avec Lili, dis-je, on ne sent pas du tout la disparition de la jeunesse, au contraire, on croit sentir le souffle des premières années. »

— « Parce que ces scènes sont poétiques, et je peux avoir remplacé par la verve poétique l’ardeur d’amour qui manque aujourd’hui au vieillard. »

Nous parlâmes ensuite du curieux passage où Goethe peint la situation de sa sœur : « Ce chapitre, dit-il, sera lu avec intérêt par les femmes instruites, car beaucoup d’entre elles ressemblent à ma sœur, en ce sens que, douées des plus belles qualités intellectuelles et morales, elles ignorent le bonheur d’être belles. »

— « Cette éruption au visage qu’elle avait à chaque fête, à chaque bal, est un fait si étrange, qu’on pourrait bien l’attribuer à quelque influence démoniaque. »

— « C’était une créature étrange, répondit Goethe. Son élévation morale était extrême ; il n’y avait pas trace en elle de sensualité. La pensée de s’abandonner à un homme lui répugnait, et il est à croire que cette particularité a amené pour elle bien des heures désagréables quand elle fut mariée. Les femmes qui ont cette même antipathie ou qui n’aiment pas leurs maris comprendront ce que cela veut dire. Pour moi, je ne pouvais jamais me représenter ma sœur mariée, et sa vraie place eût été plutôt dans un cloître comme abbesse ; aussi, quoique mariée avec le meilleur des hommes, elle n’était pas heureuse épouse, et voilà pourquoi elle s’opposa avec tant de passion au mariage que je projetais avec Lili. »