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« Je ne m’en servirai pourtant guère ou pas du tout, me dit-il, car toute espèce d’aises est au fond opposée à ma nature. Vous ne voyez aucun sofa dans ma chambre ; je suis toujours assis sur ma vieille chaise de bois, et voilà seulement quelques semaines que j’ai fait ajouter une espèce d’appui pour ma tête. Un entourage de meubles élégants et commodes suspend ma réflexion et me plonge dans un état de bien-être passif. À moins que l’on n’y soit habitué depuis sa jeunesse, de beaux appartements et un mobilier élégant ne conviennent qu’aux gens qui n’ont et ne peuvent avoir aucune pensée. »

Dimanche, 27 mars 1831.

Le printemps est enfin revenu, le ciel est bleu, traversé seulement par de légers nuages blancs. Goethe a fait mettre le couvert dans un pavillon du jardin, et nous avons pris notre repas en plein air. Nous avons causé de la grande-duchesse, du bien qu’elle fait en silence, et des cœurs qu’elle gagne dans son peuple. « La grande-duchesse, dit Goethe, a autant d’esprit et de bonté que de bonne volonté, elle est pour le pays une vraie bénédiction. Les hommes sentent vite d’où leur viennent les bienfaits, et, puisqu’ils vénèrent le soleil et les autres éléments bienfaisants, je ne m’étonne pas que tous les cœurs aient donné leur affection à la grande-duchesse, et qu’elle ait été vite reconnue pour ce qu’elle est. »

Je lui dis que j’avais commencé avec le prince la lecture de Minna de Barnhelm, et que cette pièce me semblait excellente. — « On a soutenu, dis-je, que Lessing était un esprit froid, mais je trouve dans cette pièce, autant qu’on peut le désirer, l’âme, l’aimable naturel,