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rédigeant des pétitions, mais on s’est moqué d’eux et on n’a pas fait attention à leurs actes. »

« — L’exemple de Napoléon, dit Goethe, a, surtout en France, excité des sentiments d’égoïsme chez les jeunes gens qui ont grandi sous ce héros, et ils ne resteront pas tranquilles tant que de leur sein ne sortira pas un nouveau grand despote dans lequel ils verront réalisé ce qu’ils désirent être eux-mêmes. Le malheur, c’est qu’un homme comme Napoléon ne reparaîtra pas de sitôt, et je crains presque qu’il n’en coûte encore quelques centaines de milliers d’hommes pour que le monde retrouve le repos. — Pendant quelques années, il ne faut pas penser à agir par les lettres ; on ne peut maintenant que préparer en silence de bons ouvrages pour l’ère de paix que l’avenir verra. »

Après ces quelques mots sur la politique nous sommes vite revenus à Daphnis et Chloé. Goethe a loué la traduction de Courier comme tout à fait parfaite. — « Courier a bien fait, a-t-il dit, de respecter et de conserver la vieille traduction d’Amyot, en l’améliorant seulement dans quelques passages, la purifiant et la rapprochant davantage de l’original. Ce vieux français est si naïf, et convient si bien à ce sujet, que l’on ne fera guère dans aucune autre langue une meilleure traduction de ce livre. »

Nous parlâmes alors des œuvres originales de Courier, de ses petites brochures, et de sa défense à propos de la tache d’encre sur le manuscrit de Florence.

« — Courier, dit Gœthe, est un grand talent naturel, qui a des traits de Byron[1], et aussi de Beaumarchais et

  1. Considéré non comme poëte, mais comme auteur du pamphlet les Bardes anglais et les Critiques écossais. Goethe connaissait très-bien cet ouvrage ; il en avait commencé la traduction ; mais l’ignorance d’un grand