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foi à l’invisible, toute poésie s’évanouira. Cependant cette foi a existé de tout temps ; elle est la base de toutes les religions chez tous les peuples ; elle se trouve dans les époques primitives et dans les siècles très-civilisés ; Platon l’avait, et nous la voyons aussi se montrer avec énergie chez l’auteur de Daphnis et Chloé. Dans cet aimable poëme, la divinité apparaît sous la forme des Nymphes et de Pan ; ils s’intéressent aux bergers pieux et aux amants, qu’ils protègent et sauvent pendant le jour, et auxquels ils apparaissent la nuit en rêve pour leur dire ce qu’ils doivent faire. La Nouvelle de Goethe est destinée à rendre sensible cette puissance invisible ; mais, pour rendre son action plus vraisemblable à l’incrédulité du dix-neuvième siècle, le poëte a ajouté l’influence de la musique ; comme au temps d’Orphée, elle apaise le lion, et le force à suivre docilement l’enfant. — J’ai remarqué souvent que les hommes sont tellement prévenus de l’excellence de leurs facultés, qu’ils n’hésitent pas un seul instant à les attribuer aux Dieux, mais ils répugnent à en accorder même une faible part aux animaux.

Mercredi, 16 mars 1851.

Diné avec Goethe. Nous causons de Guillaume Tell. — « Je m’étonne, dis-je, que Schiller ait pu commettre la faute de rabaisser tant son héros, en lui faisant tenir une conduite si peu noble avec le duc de Souabe, fugitif qu’il condamne si sévèrement, pendant que lui-même se vante de sa propre action. » — « C’est à peine concevable, répondit Goethe, mais Schiller, comme d’autres, était soumis à l’influence des femmes, et, s’il a été amené à commettre cette faute, ce fut plutôt en cédant à cette influence qu’en obéissant à son naturel, qui était bon. »