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Paris pour que l’on puisse se donner ce plaisir ; il en est absolument d’une pièce de ce genre comme de Béranger : il est possible à Paris ; il ne faudrait pas penser à lui à Francfort ou à Weimar. »

Mardi, 8 mars 1831.

Aujourd’hui en dînant, Goethe m’a parlé d’Ivanhoé, qu’il est en train de lire : « Walter Scott, a-t-il dit, est un grand talent qui n’a pas son pareil, et on ne doit pas s’étonner qu’il ait conquis une si extraordinaire influence sur le monde entier des lecteurs. Il me fait beaucoup penser, et je découvre en lui un art tout nouveau qui a ses lois particulières. »

Nous parlâmes ensuite du quatrième volume de la Biographie de Goethe, et cela nous ramena insensiblement au démoniaque. « Dans la poésie, dit Goethe, il y a quelque chose de tout à fait démoniaque, et surtout dans cette poésie dont on n’a pas conscience, qui dépasse l’intelligence et la raison, et qui par suite a des effets si merveilleux. Il y a aussi beaucoup de démoniaque dans la musique, car elle est si élevée, qu’elle reste au-dessus de toute intelligence, et elle sait produire des effets qui dominent tout le monde, et dont personne ne peut rendre compte. Aussi le culte religieux ne peut s’en passer ; elle est un des premiers moyens pour exercer sur l’homme des influences merveilleuses.

« Le démoniaque se jette aussi volontiers sur les grands individus, surtout quand ils occupent des rangs élevés, comme Frédéric et Pierre le Grand. Il se montrait chez le feu grand-duc à un tel point, que personne ne pouvait lui résister. Sa simple présence exerçait de l’attrait sur les hommes, sans qu’il lui fût nécessaire de se montrer