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Mariage de Hanswurst[1] qu’il a conservés depuis 1775. Kilian Brustfleck ouvre la pièce par un monologue dans lequel il se plaint que l’éducation de Hanswurst, malgré toutes ses peines, lui ait si peu réussi. Cette scène et les suivantes étaient tout à fait dans le ton de Faust. Une force de création d’une énergie qui allait jusqu’à la témérité se montrait à chaque ligne, et je regrettais seulement que toutes les bornes fussent tellement franchies, qu’on ne peut communiquer cette œuvre même par fragments. Goethe me lut ensuite la liste des personnages qui jouent dans la pièce ; ils remplissaient presque trois pages, et pouvaient bien être au nombre de cent. Tous ces noms plaisamment fabriqués étaient souvent les plus drôles et les plus vifs : à chaque instant j’éclatais de rire. Beaucoup de ces noms faisaient allusion à des défauts corporels et dessinaient si bien le personnage, qu’il apparaissait comme vivant devant les yeux ; d’autres, en faisant allusion à des défauts ou à des vices, ouvraient une vue perçante sur la profondeur du monde de l’immoralité. Si cette œuvre avait été achevée, il aurait fallu en admirer l’invention, qui réunissait dans une seule action vivante une si grande variété de figures symboliques.

— « Je n’aurais pas pu finir cette pièce, dit Goethe, car elle exigeait une abondance de malice que j’avais bien en moi par moments, mais qui au fond n’était pas dans ma vraie nature, et que je ne pouvais par conséquent conserver. Et puis nous vivons en Allemagne dans des cercles trop étroits pour que l’on puisse publier avec succès de pareilles œuvres. — Il faut un large théâtre comme

  1. C’est le Paillasse allemand. Hanswurst signifie Jean-Saucisson.