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inventèrent l’idée du Fatum[1], qu’ils mettaient au-dessus de tout ; comme cet être restait toujours de tous côtés impénétrable, la difficulté était plutôt éludée que résolue.

Le Christ eut l’idée d’un Dieu unique, auquel il donna toutes les perfections qu’il sentait en lui-même. Ce Dieu, essence de sa belle âme, était plein de bonté et d’amour comme lui-même, et tout à fait digne que les hommes bons se donnassent avec pleine confiance à lui et en acceptassent l’idée comme le lien le plus doux qui pût les unir avec le ciel.

Mais ce grand Être, que nous nommons la Divinité, ne se manifeste pas seulement dans l’homme, il se manifeste aussi dans une riche et puissante nature et dans les immenses événements du monde ; une image de lui formée à l’aide des seules qualités de l’homme ne peut donc suffire, et l’observateur rencontrera bientôt des lacunes et des contradictions qui le conduiront au doute, même au désespoir, s’il n’est pas assez médiocre pour se laisser calmer par une défaite spécieuse, ou s’il n’est pas assez grand pour parvenir à un point de vue plus élevé.

Ce point de vue, Goethe de bonne heure le trouva dans Spinosa, et il se plaît à reconnaître combien les aperçus de ce grand penseur répondaient aux besoins de sa jeunesse. Il se retrouvait en lui, et c’est en lui qu’il pouvait apercevoir la meilleure confirmation de lui-même.

Ces aperçus n’étaient pas tirés de lui-même ; les œuvres et les manifestations de Dieu dans le monde étaient leur point d’appui ; aussi ce ne furent pas des écorces qu’il

  1. Que fatalité traduit mal. Fatum, c’est la destinée, bienfaisante ou hostile, providence ou fatalité.