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touche peu ou lui paraît obscur, et, au contraire, que certaines parties l’attirent, que d’autres le choquent, et qu’à la fin il reste et s’arrête à de tout petits objets isolés, louant par exemple la manière dont est fait ce casque ou cette plume. Or, au fond, nous autres hommes, devant le grand tableau surnaturel du monde, nous jouons tous plus ou moins le rôle de cet ignorant. Les parties éclairées, attrayantes, nous attirent, les parties sombres et désagréables nous repoussent, l’ensemble nous trouble, et nous cherchons en vain à nous faire une idée claire d’un Être unique à qui nous puissions attribuer tant d’éléments contraires. Pour les œuvres humaines on peut devenir bon connaisseur en s’assimilant l’art et le savoir d’un maître, mais pour les œuvres divines il faudrait devenir un être égal au plus élevé des êtres. Si cet Être voulait dès maintenant nous transmettre et nous révéler ses secrets, nous ne les comprendrions pas, nous ne saurions qu’en faire, et serions comme cet ignorant dont nous parlions, à qui le connaisseur en peinture ne pourrait jamais faire comprendre les prémisses d’après lesquelles il juge. À ce point de vue il est donc très-juste qu’aucune religion n’ait été donnée immédiatement par Dieu, mais que toutes soient l’œuvre d’hommes supérieurs, et comme telles proportionnées aux besoins et aux facultés d’une grande masse de leurs égaux. Si elles étaient une œuvre de Dieu, personne ne les comprendrait ; comme elles sont l’œuvre des hommes, elles ne disent rien d’impénétrable. La religion des anciens Grecs, qui étaient déjà très-cultivés, se borna à incarner dans différentes Divinités les manifestations diverses de l’impénétrable. Ces divinités isolées étaient des êtres limités ; il restait, pour les lier toutes ensemble, une place vide. Les Grecs