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(de 1807), que j’ai fini de rédiger ce matin. Nous causons des pensées excellentes qui y sont jetées comme de simples remarques fugitives. « On croit toujours, dit Goethe en riant, qu’il faut devenir vieux pour être habile ; mais en réalité on a de la peine, en prenant des années, à se maintenir aussi sage qu’on l’était autrefois. En parcourant les différents degrés de la vie, on devient autre, mais je ne peux dire que l’on devienne meilleur, et sur certaines questions, on peut à vingt ans trouver le vrai aussi bien qu’à soixante. — Certes on voit le monde dans la plaine autrement que sur les sommets, et on le voit encore autrement sur les glaciers des monts ; on aperçoit une étendue plus vaste, mais voilà tout, et on ne peut pas dire qu’on ait la vue meilleure ici que là. — Quand donc un écrivain laisse des monuments des différentes périodes de sa vie, l’important, c’est qu’il soit né avec un fonds solide, avec la bonne volonté, c’est qu’il ait toujours vu et senti tout avec simplicité, c’est qu’il ait toujours parlé sans détours, sans réserve, sans dissimulation, comme il pensait. — Si ce qu’il a écrit était vrai du point de vue où il était alors placé, cela sera toujours vrai, et l’auteur peut plus tard se développer et changer comme il le veut. — Ces jours-ci, une feuille de vieux papier tombe entre mes mains. Je me mets à la lire ; « Hum ! me disais-je à moi-même, ce qui est écrit là n’est pas si mal, tu ne penses pas autrement, et tu ne t’exprimerais aussi guère autrement. » En regardant mieux cette feuille, je reconnus que c’était une feuille de mes propres œuvres. Comme je marche toujours en avant, j’oublie ce que j’ai écrit, et je me trouve bientôt exposé à regarder ce que j’ai fait comme l’œuvre d’un étranger. »