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par des voies naturelles, les puissances supérieures lui tendent pièges sur pièges jusqu’à ce qu’il se laisse prendre. C’est ainsi qu’il en a été de Napoléon et de bien d’autres. Mozart est mort à trente-six ans, Raphaël aussi. Byron n’a guère vécu davantage. Mais tous avaient complètement rempli leur mission, et il était bien temps pour eux de s’en aller, afin de laisser aussi aux autres quelque chose à faire dans ce monde, qui doit durer longtemps. » Il s’était fait très-tard. Goethe me tendit sa main bien-aimée, et je partis.

Mercredi, 12 mars 1828.

Après avoir quitté Goethe hier soir, la conversation importante que j’avais eue avec lui me restait dans l’esprit. Nous avions parlé aussi des forces de la mer et de l’air marin. Goethe avait dit qu’il croyait toutes les populations des îles voisines de la mer, dans les climats tempérés, bien plus actives et d’un esprit plus fécond que les populations renfermées dans l’intérieur des grands continents.

M’étais-je endormi avec ces pensées et avec un certain désir de jouir des forces vivifiantes de l’Océan, je ne sais, mais j’eus dans la nuit un rêve très-agréable et qui m’étonna fort. — Je me vis dans un lieu inconnu, au milieu de personnes qui m’étaient étrangères. C’était par un très-beau jour d’été ; j’apercevais autour de moi une nature ravissante, nous avions bu joyeusement à table ; nous nous promenions à travers d’agréables vallons, quand tout à coup nous nous trouvâmes au milieu de la mer, sur une île très-petite, espèce de rocher isolé, où pouvaient à peine tenir place cinq à six personnes et où l’on ne pouvait se remuer sans craindre de glisser dans l’eau. — Devant nous, à un quart de lieue on aper-